La sagesse des foules

De Wikicelium

Le phénomène de Galton

En 1906, un concours de foire paysanne propose au public d'estimer le poids d'un boeuf. Francis Galton, un scientifique aristocrate anglais, dépouille les résultats en espérant prouvé la stupidité des masses. Les résultats individuels s'écartent effectivement largement du poids de l'animal. Toutefois, en faisant la moyenne de tous les résultats, il arrive à une estimation de 542kg, alors que l'animal faisait 543kg. Les gens qui composaient la masse ont pour la plupart sur ou sous-évalués le poids réel, mais l'ensemble est arrivé à un résultat étonnamment juste. Coïncidence ? Pour le moment, il n'a pas clairement été contredit. AInsi, pour estimer une quantité inconnue, le jugement moyen (ou médian) d'une multitude d'individus sans qualification particulière sera proche de la bonne réponse. En fouloscopie, ce principe a été nommé "sagesse des foules", en rapport au livre du même nom de James Surowiecki publié en 2004 et qui a sortie de l'oubli le phénomène de Galton. Quand il est question de quantité, la foule semble ainsi avoir la bonne réponse, même si les individus qui la compose se trompent largement.

MSN Gaming Zone vs Kasparov

La "sagesse des foules" ne s'appliquerait pas seulement à des problèmes simples, mais aussi à des problèmes complexes comme une partie d'échec. En 1999, la MSN Gaming Zone organise une partie opposant le champion Kasparov à 50'000 joueurs plus ou moins anonymes, répartis sur 75 pays. Pour chaque coup, la plateforme collectait les propositions indépendantes des joueurs durant 24h, puis appliquait celle qui était le plus plébiscitée. En fin de compte, Kasparov gagna la partie, mais après 4 mois de duel et 64 coups. La foule a même proposée un coup inédit qui reste encore aujourd'hui dans les livres d'échec.

Un phénomène de mieux en mieux compris

"La sagesse des foules ne relève ni de la psychologie, ni de la philosophie, mais plutôt des statistiques et des probabilités. Les personnes interrogées ont généralement une vague idée de la bonne réponse, mais elles commentent des erreurs qui les conduisent à surestimer ou à sous-évaluer la vérité. Si l'échantillon est suffisamment grand, les fautes individuelles vont se compenser, faisant ressortir ce que les gens ont en commun dans leur réflexion, amenant au final une estimation proche de la bonne réponse" (Moussaïd, 2019, p 168).

L'influence sociale dans le choix des foules

"La sagesse des foules ne fonctionne toutefois pas dans toute les situations. D'abord, il faut que les individus aient au moins une très vague idée [du sujet, sinon leur réponse sera complètement aléatoire]. Ensuite, et c'est là l'élément le plus critique, il faut que chacun commette des erreurs différentes." Si toutes les propositions vont dans le même sens, la moyenne sera biaisée dans ce sens. "C'est ce que nous explique le théorème de la diversité des prédictions de Scott Page : la diversité des jugements, donc des erreurs, est indispensable au bon fonctionnement de la sagesse des foules. Malheureusement, cet élément crucial est aussi le plus fragile. Son pire ennemi est l'influence sociale, véhiculée par les réseaux d'interaction [...]. Si les individus ont l'occasion de discuter du problème avant de formuler leurs estimations, les jugements vont avoir tendance à converger vers les mêmes erreurs. [...] Une seule indication est suffisante pour éloigner le jugement moyen de la bonne réponse, comme l'ont révélé de nombreuses études récentes" (Moussaïd, 2019, pp 173-174).

Duncan Watts est son équipe se sont penchés en 2006 sur le problème de l'influence sociale dans la notation de produit culturel. Trois échantillons, réunissant au total 15'000 personnes, ont dû juger 48 morceaux de musique inédits composés par de vrais groupes pour l'occasion. Le premier échantillon avait accès à une plateforme n'affichant que les notation individuel, chacun ne voyant que son propre avis. Le second échantillon pouvait voir la note globale issue de la moyenne des autres votes. Dans le premier cas, aucun morceau ne se démarqua vraiment. Dans le second cas, un hit émergea. Pour vérifier ce choix des foules, les compteurs furent remis à zéro plusieurs fois. A chaque fois un hit se démarquait, mais ce ne fut jamais le même morceaux ... La qualité objective du morceau n'était en fin de compte pas le critère de choix principal, mais plutôt l'engouement social qui l'entourait. Les résultats n'était toutefois pas entièrement aléatoire, car à chaque itération, les mêmes titres se répartissait entre le haut, le milieu et le bas du classement. Seul l'ordre changer un peu.

Anita Woolley a découvert que l'intelligence d'une foule n'est pas directement dépendante des intelligences individuelles, mais plutôt les interactions sociales entre les gens qui permettent au groupe de dépasser les capacités de ses membres et qui prédisent les futures performances collectives (Woolley, A. W., 2010, Evidence for a collective intelligence factor in the performance of human groups).

Sources

  • Fouloscopie, de Mehdi Moussaïd, 2019, pp 168-174, 178-179
  • Le mode de pensée de l'intelligence collective
  • https://www.payot.ch/Detail/la_boite_a_outils_de_lintelligence_collective-arnaud_beatrice-9782100739462
  • Woolley, A. W., Chabris, C. F., Pentland, A., Hashmi, N., & Malone, T. W. (2010). Evidence for a collective intelligence factor in the performance of human groups. science, 330(6004), 686-688.